Défense sociale
La défense sociale représente un dispositif destiné aux auteurs de crimes ou délits considérés comme irresponsables de leurs actes en raison de leur état mental. Ce dispositif a pour double but de leur assurer des soins appropriés et de protéger la société.
« Furiosus satis ipso furore punitur » (Droit romain)
Définition
La notion de «défense sociale » désigne un ensemble de mesures prises à l’égard de personnes inculpées ou condamnées pour un délit ou un crime, qui souffrent de démence, de grave déséquilibre mental ou de débilité mentale. Elle se fonde sur l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes de trouble ou de handicap mental.
L’internement
Même si les malades mentaux sont généralement considérés comme irresponsables au niveau pénal, les actes de délinquance ou les délits qu’ils peuvent commettre posent à la société un problème de sécurité. Le projet de la défense sociale consiste à proposer aux délinquants psychiatriques un enfermement destiné à protéger la société tout en leur assurant des soins. Ce projet prend une première formalisation juridique en 1930 lorsque la Belgique adopte une loi dite de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitude. En vertu de cette loi, les malades mentaux qui ont commis des délits ou infractions et qui sont reconnus irresponsables ne se verront pas infliger une peine de prison mais feront l’objet d’une mesure d’internement. Les personnes qui font l’objet d’une telle mesure sont désignées sous le terme d’internés.
Les mesures d’internement prises dans le cadre de la législation de défense sociale sont des mesures dites « de sûreté » dont le but n’est pas de punir ; elles répondent plutôt à un double objectif : la protection de la société et le soutien thérapeutique à l’auteur des faits. Contrairement à l’emprisonnement, l’internement est généralement prononcé pour une durée indéterminée, son terme étant conditionné à une amélioration de l’état mental de la personne.
La mesure est décidée par une juridiction d’instruction ou de jugement, sur base de 3 critères :
- crime ou infraction
- état de démence, déséquilibre mental ou débilité rendant l’auteur incapable de contrôler ses actes
- situation de danger pour la société
Les modalités d’application de la mesure sont, à partir de 2016, du ressort de la Chambre de défense sociale, qui a succédé aux anciennes Commissions de défense sociale.
Lieux d’internement
En vertu de la loi de 1930, la personne internée doit faire l’objet d’un enfermement dans un établissement spécialisé à cet effet, dénommé établissement de défense sociale (EDS). Ce type d’établissement constitue une sorte d’intermédiaire entre la prison et l’asile. En Wallonie, on dénombre à ce jour (2015) 3 EDS, localisés à Paifve, Tournai et Mons.
En pratique, la situation est plus complexe. L’établissement de défense sociale n’est pas le seul lieu qui accueille des internés. L’enfermement effectif des internés commence généralement par le milieu carcéral. En l’attente de la décision d’internement, la plupart des futurs internés passent par la prison où ils sont soumis à une période d’observation en annexe psychiatrique. Un certain nombre d’entre eux y resteront par la suite, faute de places suffisantes en EDS. L’article 14 de la loi prévoit qu’après une première comparution devant la Commission de défense sociale, un interné peut être renvoyé vers un établissement de défense sociale, une section d’hôpital psychiatrique ou une résidence répondant à des critères de soins et de sécurité. Un nombre relativement important d’internés peuvent bénéficier de libérations à l’essai qui sont souvent conditionnées à une amélioration notable de leur situation clinique ainsi qu’à un suivi résidentiel ou ambulatoire. Certains internés peuvent également être directement laissés en liberté, en famille ou en institution.
Législation
La première loi belge de défense sociale de 1930 a été ultérieurement réformée en 1964. Dans la version du 1e juillet 1964, la loi de défense sociale confie aux Commissions de défense sociale la décision des modalités d’application de la mesure ainsi que la mission de suivre l’évolution de la situation de l’interné et de prononcer une libération, à l’essai ou définitive.
La version de 1964 a ensuite été remplacée par la loi du 21 avril 2007 relative à l’internement des personnes atteintes d’un trouble mental. Les points essentiels de la nouvelle législation de 2007 sont :
- La substitution de la notion d’anormaux ou de déséquilibrés mentaux par celle « de personnes atteintes d’un trouble mental qui a gravement aboli ou altéré leur capacité de discernement ou le contrôle de leurs actes »
- La notion d’une « possibilité de lien causal entre le trouble mental et les faits. »
- La nécessité d’une expertise psychiatrique précédant la prise de décision d’internement
- Des conditions précises pour la libération à l’essai et pour la libération définitive
- Le transfert des compétences des Commissions de défense sociale aux tribunaux de l’application des peines, ce qui signe une judiciarisation plus importante et l’éviction du psychiatre qui était présent dans les Commissions de défense sociale.
Il faut toutefois noter que la loi de 2007 a suscité de nombreuses critiques dès avant son entrée en application.
On peut dire que, depuis l’adoption de la loi de 1930, la législation relative à la défense sociale ne cesse de susciter des réflexions et des contestations, ce qui l’amène régulièrement à faire l’objet d’évolutions et de modifications. Certains relèvent toutefois que ces multiples avatars ne changent pas en profondeur le projet de base de la défense sociale, un projet qui oscille entre soin et sécurité. En témoigne le dernier de ces avatars, à savoir l’adoption de la loi relative à l’internement des personnes du 5 mai 2014.Le texte de la proposition (art.2) formule ainsi la double nature de l’internement:
- c’est une mesure de sûreté destinée à protéger la société
- c’est une mesure thérapeutique par laquelle la société permet à la personne de recevoir des soins appropriés en vue de sa réinsertion sociale
En 2016, le texte de 2014 subit de nouvelles modifications. La nouvelle version qui entre le vigueur le 1 octobre 2016 prévoit notamment :
- que l’internement ne sera envisageable que pour des faits graves portant atteinte à l’intégrité physique ou psychique des personnes, excluant par là la possibilité d’un internement pour des faits moins graves.
- la possibilité d’associer les victimes à la mesure
- la prise de décision quant à l’exécution de la mesure et au trajet de soin par une nouvelle chambre de défense sociale (une chambre par arrondissement judiciaire), composée d’un juge et de deux assesseurs (un assesseur psychologue clinicien et un assesseur spécialisé en réinsertion sociale).
Circuits de soins pour les internés
Dans le cadre de la réforme des soins de santé mentale communément appelée réforme 107, il est apparu que les patients internés ne pouvaient être laissés en marge. Des projets pilotes de « trajets de soins pour patients internés » (TSI) ont été développés à Bruxelles et en Wallonie. Pour chacun de ces trajets, un réseau de soin est constitué entre un hôpital psychiatrique, une maison de soins psychiatriques, une initiative d’habitations protégées et une unité d’outreaching. L’organisation des soins à l’intérieur de chaque réseau est assurée par un coordinateur. Pour assurer la coordination entre les réseaux et l’ensemble du champ de la santé mentale, chaque zone dépendant d’une cour d’appel dispose d’un coordinateur « justice » et d’un coordinateur « santé ». L’objectif de cette organisation en réseaux consiste à optimaliser les soins dispensés aux personnes internées et à favoriser leur réinsertion sociale. La collaboration avec le secteur de la justice passe par le rôle des Maisons de justice et des assistants de justice.
Pour en savoir plus
Pour en savoir plus à propos de la défense sociale, on peut consulter les sites suivants:
- Similes
- « Vers des soins à part entière pour les détenus et les internés en Belgique » : Memorandum du 25 juillet 2014 (groupe de réflexion « Soins et détention »)
- Paroles en défense sociale, paroles de défense sociale.
Recherche-action menée par Psytoyens (publication 4 février 2016) et téléchargeable sur le site de Psytoyens
On peut également consulter les publications suivantes :
- « La défense sociale en Belgique, entre soin et sécurité. Une approche empirique », article par Y. Cartuyvels, B. Champetier, A. Wyvekens, in Déviance et Société, 2010/4 vol.34, pp. 615-645, Ed. Médecine &Hygiène.
-
« La défense sociale pour les aliénés délinquants en Belgique : le soin comme légitimation d’un dispositif de contrôle ? », article par Yves Cartuyvels et Gaëtan Cliquennois, in Champ Pénal, Penal Field, vol XII, 2015
- « Les avatars de la loi belge de défense sociale : le changement dans la continuité », article par Michel van de Kerkhove, in Déviance et Société, 2010/4 (Vol. 34), p. 485-502.
- SCHEPENS Pierre, DE BAEREMAEKER Virginie, Petit essai impertinent sur l’internement, l’expérience de la forêt de Soignes,
L’Harmattan Academia Pixels, octobre 2018 - CARTUYVELS Yves, CHAMETIERS Brice, WYVEKENS Anne, Soigner ou Punir? Un regard empirique sur la défense sociale en Belgique,
Presses Univ. St Louis, Bruxelles, 2019